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Dans le Var, les acteurs locaux s’organisent contre l’algue verte invasive
Département du Var
Présente depuis 30 ans dans le département, la Caulerpa Taxifolia, une algue envahissante menace la biodiversité indigène. Chaque été, avec le réchauffement de la mer Méditerranée, elle réapparait sur le littoral varois. Pour lutter contre sa prolifération, les acteurs locaux s’organisent et se préparent pour l’avenir.

C’était une première sur la commune de La Garde. En septembre dernier, trois plongeurs sont intervenus dans l’anse de San Peyre pour éradiquer la Caulerpa Taxifolia. L’algue invasive avait été découverte quelques semaines auparavant par un moniteur de plongée.  Une équipe a rapidement fouillé les lieux.  « On a réalisé une circulaire sur 60 mètres et on a découvert plusieurs zones », décrit Eric Pironneau, plongeur professionnel qui a dirigé l’opération. Pendant deux jours, lui et deux autres plongeurs ont retiré une dizaine de mètres carrés d’algue.

En septembre 2022, trois plongeurs professionnels ont éradiqué l’algue sur la zone à l’aide d’une méthode d’aspiration pour éviter toute reproduction par bouturage. © Telo Sub

Originaire d’Australie, la Caulerpa Taxifolia surnommée « l’algue verte » ou encore « l’algue tueuse », est apparue en 1984 sur les côtes de Monaco. Rejetée accidentellement en pleine mer par le Musée océanographique de la principauté, la Caulerpa Taxifolia est devenue un cas d’école d’invasion biologique. Transportée par les filets des pêcheurs ou les ancres des plaisanciers, elle s’est rapidement propagée sur le littoral varois. « C’était impressionnant, tout devenait vert. Les gorgones, les anémones, tout était recouvert. Je n’ai rien observé de pire dans ma carrière », se souvient Jean-Michel Cottalorda, ingénieur de recherche en écologie marine et membre du conseil scientifique du parc national de Port-Cros. Le scientifique travaille depuis 30 ans sur cette algue.

Avec l’augmentation de la température de l’eau de 0,4 °C en moyenne tous les dix ans, la Méditerranée devient un milieu propice au développement des espèces tropicales. Parmi elles, une dizaine sont considérées comme envahissantes, c’est-à-dire ayant un impact néfaste sur la biodiversité, la santé ou l’activité économique. Dans le Var, la Caulerpa Taxifolia est à ce jour la seule espèce sur laquelle agissent physiquement les acteurs locaux. « Elle colonise des habitats et entre en concurrence avec la posidonie. C’est une algue peu prédatée car toxique, donc elle ne disparait pas facilement. Et c’est une espèce que l’on peut contrôler. Elle ne se reproduit pas aussi vite que les autres », explique Alain Barcelo, responsable scientifique au Parc national de Port-Cros.

Plongeurs et associations, les sentinelles de la mer

Eric Pironneau navigue dans l’anse San Peyre sur la commune de La Garde. L’été dernier, l’algue invasive Caulerpa Taxifolia y a été détectée pour la première fois. ©Tom Becques

L’algue verte, Eric Pironneau la surveille depuis les années 90. Avec son association Telosub, le plongeur fait partie de ces sentinelles qui sillonnent régulièrement les eaux varoises. C’est lui qui a alerté l’année dernière la commune de La Garde lorsque l’algue a été découverte sur son littoral. La mairie a immédiatement demandé aux associations de réagir.  « Nous avons un sentier sous-marin à l’anse Magaud. On veut le protéger et préserver la biodiversité près de nos côtes », explique Sophie Ourdouillé, adjointe à l’environnement à la mairie de La Garde. Le 27 mars prochain, l’élue recevra les associations et clubs de plongée afin de définir un partenariat pour les trois prochaines années. Un budget de quelques milliers d’euros sera notamment défini pour les actions et prospections à venir.

La commune du Pradet réalise depuis déjà 20 ans ce type de partenariat avec l’association Naturoscope. Ses plongeurs interviennent chaque année sur son littoral pour éradiquer la Caulerpa. « On a une certaine reconnaissance et un savoir-faire. On sait réagir vite dès qu’on la repère », explique Marion Georges, responsable de l’association Naturoscope dans le Var. Si la ville investit chaque année 6 000 euros pour défrayer l’association et rémunérer les plongeurs professionnels, la plupart des membres sont bénévoles et agissent gratuitement pour protéger leur littoral.  « Une algue pas souhaitée, ça risque de gâcher ce qu’on peut observer tous les jours dans nos eaux », explique Laurence Schmitt, plongeuse et membre de l’association. La retraitée a participé pour la première fois l’année dernière à une mission de prospection. 

Depuis 2001, Eric Pironneau, plongeur et président de l’association de protection de l’environnement Télosub, répertorie et cartographie la Caulerpa sur la commune du Pradet et de La Garde. © Tom Becques

Chaque été, la commune travaille également avec l’association pour mener des campagnes de sensibilisation à la protection du littoral. Les bénévoles informent les baigneurs sur le repérage de l’algue et alertent les plaisanciers sur sa prolifération via l’ancre de leur bateau. « Avant, on avait des nappes entières. Maintenant, l’algue n’a plus le temps de se développer, se réjouit Marine Nironi, chargée de l’environnement à la mairie du Pradet. Nos plongeurs et baigneurs sont vigilants sur nos plages. Dès qu’ils l’aperçoivent, ils nous alertent. S’ils se désengagent, ça ne marche plus ».

Un « savoir-faire » pour prévenir l’arrivée d’autres espèces

Disparue en grande partie dans les Alpes-Maritimes pour des raisons encore inconnues, l’algue tueuse reste bien présente dans le Var. Le Parc national de Port-Cros l’a découverte dans ses eaux au début des années 90. Depuis, les scientifiques l’observent, la cartographient, l’analysent et expérimentent des méthodes d’éradication. Des composés chimiques comme le sulfate de cuivre ou l’arrachage manuel ont été testés. En 2018, les plongeurs et scientifiques ont développé une méthode par aspiration qui permet de retirer l’algue et les mottes de sable situées en dessous. Une technique efficace pour éviter qu’un résidu ne redonne vie à une colonie. « C’est très important, car cette algue se reproduit par bouturage», rappelle Alain Barcelo. 

Aujourd’hui, la prolifération de l’algue verte est maitrisée dans les eaux du parc. Les scientifiques la surveillent de près et prospectent chaque année les fonds marins. Son évolution est aléatoire et elle peut réapparaitre très rapidement. Mais la relation étroite entre chaque acteur permet d’intervenir rapidement et empêche l’algue de gagner du terrain. « On est capables de mobiliser plusieurs dizaines de plongeurs et d’agir dans les 48h », explique Alain Barcelo.

Alain Barcelo, responsable du service scientifique du Parc national de Port-Cros. Aujourd’hui la prolifération de l’algue est maîtrisée dans les eaux du parc. Les travaux réalisés sur la Caulerpa ces dernières années permettent de mieux appréhender l’arrivée de nouvelles espèces invasives. © Tom Becques

Ces dernières années, d’autres espèces exotiques envahissantes sont apparues en Méditerranée. Mais les études et les travaux menés sur la Caulerpa permettent de mieux appréhender leur propagation, assurent les scientifiques. 

« La méthode par aspiration pourrait par exemple lutter contre les alevins de poissons-lions », explique Jean-Michel Cottalorda. Ce poisson exotique envahissant a été découvert il y a une dizaine d’années en mer Méditerranée, mais est encore inexistant sur les côtes varoises. 

Bien que les scientifiques soient souvent à l’origine des découvertes, la lutte contre les espèces invasives doit se faire à toutes les échelles. « C’est un collectif, une chaîne d’acteurs qui permet l’efficacité des mesures mises en place », rappelle Sandrine Ruitton. Elle-même a découvert en 2021 la Lophocladia lallemandii, une autre algue invasive dans le parc de Port-Cros, ouvrant la perspective d’un nouveau combat à mener pour limiter sa prolifération. Depuis, l’enseignante-chercheuse en écologie marine a alerté les administrations et les associations qui veillent lors des sorties en mer. Elle a déjà été contactée par des plongeurs amateurs qui lui ont signalé sa présence dans d’autres endroits. Mais l’espèce étant « trop petite, trop fine », aucune action d’éradication n’a été menée pour l’heure afin de ne pas augmenter le « risque de dispersion ».