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À l’église, Russes et Ukrainiens vivent en paix malgré la guerre
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Essonne
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Le déclenchement de la guerre en Ukraine a fait remonter les conflits qui existaient au sein de l’Église orthodoxe russe de France. En Essonne, dans la ville de Sainte-Geneviève-des-Bois, Russes, Ukrainiens, Géorgiens et Moldaves cohabitent néanmoins grâce à leur foi.

Le son des cantiques s’élève au-delà des murs d’enceinte de l’église orthodoxe à Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne). Le petit édifice, que vingt personnes suffisent à remplir, accueille aujourd’hui une quarantaine de fidèles venus assister à la messe dominicale. Les derniers retardataires pressent le pas pour ne pas rater le début de la liturgie. C’est « le dimanche du pardon », qui ouvre le carême chez les chrétiens. Hasard du calendrier, la date coïncide, à deux jours près, avec celle de l’invasion russe de l’Ukraine un an plus tôt. L’événement demeure dans tous les esprits, mais ici, lorsqu’on monte les marches de l’église, les hommes ôtent leur chapeau, les femmes se coiffent d’un voile et tout le monde laisse ses opinions politiques sur le pas de la porte.

Géorgiens, Moldaves, Français, Russes et Ukrainiens : dans cette paroisse cosmopolite, les fidèles cohabitent paisiblement, contrairement à d’autres églises orthodoxes de tradition russe en France. Nicolas est représentant des laïcs de la paroisse. Il confirme que, « comme dans toutes les églises orthodoxes, la guerre en Ukraine est un sujet sensible » dans sa communauté. La situation dans sa paroisse est loin d’être parfaite. Cependant, « les efforts de chacun et le dialogue mis en place par nos deux prêtres depuis un an, notamment le père Anatole, permettent de réconcilier nos paroissiens, qu’ils soient pro-ukrainiens ou pro-russes ».

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Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne), le 19 mars 2023. l’Église orthodoxe de Notre-Dame-de-l’assomption en Essonne où se mélangent des paroissiens d’origine russe, ukrainienne, géorgienne, moldave, française. Photo : William Minh Hào Nguyen / CFJ

L’église : un lieu de rencontre multiculturel

Dôme bleu ciel et murs blancs, l’église de cette petite commune d’Essonne est célèbre pour son cimetière russe : le plus grand au monde en dehors de la Russie. Ce sont les Russes blancs, les tsaristes, exilés en France après l’avènement des communistes dans leur pays qui ont fait construire le lieu de culte à la fin des années 1930. Conséquence de cette filiation, la messe est célébrée en partie en français et en partie en slavon, une langue ancienne à l’origine de toutes les langues slaves modernes. Au fil du temps, cette communauté à l’origine russe s’est considérablement diversifiée.

La messe s’achève. Après les deux heures et demie d’office, le père Anatole prend une dizaine de minutes pour nettoyer et ranger les objets liturgiques. À l’entrée de l’office, il y a toujours une ou deux personnes qui s’attardent pour discuter avec le prêtre. Il accepte systématiquement malgré la fatigue. Marcel le salue en moldave. Il a pris rendez-vous afin que l’homme d’église vienne bénir sa nouvelle maison. « Notre prêtre est un vrai intellectuel qui parle cinq langues différentes, résume Nicolas, le représentant des laïcs. C’est une force. Lorsque les gens rencontrent des problèmes, ils sont à l’aise pour nouer le dialogue avec lui et ils ne restent pas isolés. »

« Nous sommes amis, même si nous ne sommes pas d’accord »

Malgré tout, les opinions demeurent parfois irréconciliables. « Je ne veux plus qu’on parle de la guerre. La seule chose qui compte ici, c’est notre foi », martèle Catherine, excédée lorsqu’on l’interroge sur l’ambiance au sein de sa paroisse. La mère de famille française d’origine russe fréquente l’église orthodoxe de la commune depuis 40 ans. Elle ne s’en cache pas, dans ce conflit armé, elle soutient le côté russe. « Cette guerre a commencé à cause de l’influence néfaste de l’Otan, qui a transformé la Russie et l’Ukraine en ennemis. Alors que c’est un même peuple au départ avec beaucoup de points communs, estime-t-elle. C’est une guerre qui vise à protéger la culture russe. »

« Je ne peux pas te laisser parler de guerre de défense alors que la Russie envahit son voisin », intervient Tamaz. L’homme à la grande stature est vêtu d’une veste bleue et porte un béret sur la tête. Il s’exprime d’une manière empathique en évoquant le peuple ukrainien. Originaire de Géorgie, le géant garde un souvenir vivace de l’invasion russe qui toucha son pays en 2008. La conversation animée se poursuit. Chaque côté échange des arguments sous le regard de paroissiens qui ont rejoint le réfectoire pour la catéchèse. Autour de tables, on y discute de façon informelle tout en dégustant gâteaux et boissons chaudes.

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Sainte-Geneviève-des-Bois, le 11 mars 2023. Le chœur de l’église est composé de paroissiens qui chantent en français et en slavon. Photo : William Minh Hào Nguyen / CFJ

Finalement, les interlocuteurs campent sur leurs positions, mais ils s’entendent pour achever la confrontation de façon cordiale. « Nous avions déjà eu cette conversation à de nombreuses reprises avec Catherine », explique Tamaz. « Elle est une amie et nos familles se côtoient également en dehors de l’église. Même si nous ne sommes pas d’accord sur le sujet, on arrive à parler de plein d’autres choses différentes. » Si la politique prenait trop de place au sein de la paroisse, Tamaz irait ailleurs. Mais ici, « il y a d’autres débats, on n’échange pas seulement avec des gens qui ont le même point de vue que nous, c’est très sain. »

Zina est une réfugiée ukrainienne arrivée en France il y a un an avec sa fille et sa petite fille. La femme de 53 ans chante à la chorale dès qu’elle est présente à l’office. Elle a trouvé dans l’église communale un véritable sanctuaire après son départ d’Ukraine. « Cela me fait beaucoup de bien de venir. Loin de la guerre, les gens sont plus calmes, s’émeut-elle. Je suis touchée de voir autant de gens différents qui s’entendent bien. Cela me fait espérer qu’après la guerre, Russes et Ukrainiens pourront de nouveaux dialoguer. »

Une fracture au sein de l’Église russe orthodoxe en France

De l’aveu du père Anatole, après le déclenchement du conflit, « il y a eu de violentes disputes dans la paroisse », se contente-t-il d’expliquer. Depuis plusieurs mois, l’église d’Essonne ne célèbre plus le patriarche Cyrille lors de la messe comme le veut l’usage orthodoxe. D’autres églises parisiennes ont fait le choix inverse. Cette décision symbolique, le prêtre l’a prise lorsque le leader moscovite s’est positionné publiquement en faveur du Kremlin il y a un an. Michel, un fidèle de longue date, mentionne les vifs débats qui ont suivi. « Un paroissien a même déclaré qu’il reniait l’autorité de notre prêtre », se remémore-t-il.

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Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne), le 18 mars 2023. Anatole Negruta est l’un des deux prêtres orthodoxes de Notre-Dame-de-l’Assomption en Essonne. Photo : William Minh Hào Nguyen / CFJ

En homme de paix, le père Anatole arrive, à force de patience, à apaiser la situation avec les réfractaires. « Il a fait œuvre de pédagogie durant la catéchèse. Depuis, à chaque messe, on rend hommage à toutes les victimes de la guerre et on prie pour le retour de la paix », expose Michel. Pour lui, le père Anatole n’a pas démérité. Les choses ne se passent pas toujours aussi bien. À Paris, dans la paroisse de Yelena* (prénom modifié), « la guerre a mis en évidence des conflits cachés parmi les paroissiens, tout est devenu politique », témoigne-t-elle.

« Depuis quelques jours, ça tourne au règlement de compte en public, c’est la guerre en plein carême, décrit-elle. Nous sommes tendus depuis que les obscurantistes ont été chassés du conseil paroissial, car ils voulaient imposer aux autres leurs idées pro-russes. » Selon Antoine Nivière, professeur à l’Université de Lorraine et spécialiste d’histoire culturelle et religieuse russe, les conflits entre Russes et Ukrainiens s’exportent en France pour plusieurs raisons. « En France, il y a beaucoup plus de paroisses orthodoxes de tradition russe que d’autres. Il n’y a par exemple que trois églises orthodoxes ukrainiennes en France. Les croyants fréquentent les églises à proximité de chez eux et cette cohabitation peut parfois être source de tensions. »

Avec la guerre, l’apparition d’un malaise des Français d’origine russe

À cela s’ajoute le lobbying du Kremlin en France, qui a obtenu en 2018 et 2019 le rattachement au patriarcat de Moscou d’un grand nombre de paroisses issues de l’émigration russe. Cette opération qui, officiellement, visait à unifier ces paroisses sous le giron de Moscou a créé à l’époque des dissensions au sein du clergé et des fidèles. Anton* (prénom modifié), donne l’exemple de sa paroisse à Neuilly-sur-Seine qui a vu l’arrivée récente de nombreux Ukrainiens : « Lorsque leurs églises sont passées sous l’influence du patriarcat de Moscou, ils ont décidé de changer de paroisse. Or, certains croyants suivent désormais la liturgie en français alors qu’ils le parlent très mal. »

Antoine Nivière estime que les divisions au sein des communautés paroissiales russes orthodoxes ces dernières années ont mis en lumière un phénomène jusqu’ici méconnu concernant certains Français d’origine russe ou slave des Balkans. « On pensait qu’on avait affaire à une immigration assimilée, mais parmi eux, il y a un certain nombre de personnes qui, avec les événements actuels, manifestent un malaise et parfois, une difficulté de vivre dans le cadre de la société française. » Pour le chercheur, c’est comme s’ils avaient « deux vies parallèles » : « Une vie civile, puis une vie religieuse, dans laquelle ils ont recréé une Russie fantasmée qu’à leur tour, suivant la rhétorique du président Poutine pour justifier sa guerre en Ukraine, ils opposent à un Occident perçu comme décadent. » Et qui ferait de l’Ukraine une nouvelle conquête.

Making of

Il n’est pas bon de mélanger politique et religion. Les communautés orthodoxes russes et slaves sont extrêmement méfiantes à l’égard des journalistes depuis un an. La guerre est un sujet qui fâche. Afin d’aborder les tensions entre Russes et Ukrainiens dans l’Eglise orthodoxe, l’aide du Père Anatole Negruta, qui officie à Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne), a été plus que précieuse. En plus d’être prêtre orthodoxe, il est aussi professeur d’hagiologie à l’institut Saint-Serge à Paris, l’institut d’études orthodoxe. Durant un mois, nous nous sommes immergés dans le quotidien d’une paroisse orthodoxe afin de gagner la confiance des croyants.