FrictionRéunion
Dieu nous sépare (2/2) – « Papa, maman, je n’ai pas votre foi »
Bretagne
Charlie et Louise ont en commun d’avoir longtemps questionné et cherché leur identité spirituelle. Rencontre avec deux enfants nés de familles croyantes, devenus adultes et athées.

« Depuis que je me suis faite débaptiser c’est moins douloureux pour moi d’entrer dans une église » confie Louise devant le parvis Notre-Dame de Clignancourt, à deux pas de son appartement dans le XVIIIe arrondissement de Paris. La jeune femme de 25 ans a grandi dans une famille catholique très pratiquante. Benjamine d’une fratrie de quatre sœurs, elle est la seule que ses parents aient forcé à poursuivre le catéchisme jusqu’à 12 ans. Sans doute pour « sécuriser le Paradis », ironise-t-elle. 

Louise ne croit pas en Dieu : « ça n’a jamais fonctionné sur moi ». Émue, elle en veut encore beaucoup à ses parents de l’avoir contrainte à ça. « Petite, je pleurais en rentrant dans une église, c’était vraiment des moments de souffrance ». 

Louise devant l’église de son quartier à Paris quelques jours avant le début du Carême (Photo : Claire Besnard)

C’est en 2020, en plein confinement, que la jeune chargée de communication saute le pas et envoie une demande de débaptisation, aussi appelée apostasie. Selon des estimations du journal Libération en 2018 en France, 2 200 personnes ont souhaité briser le sacrément. La démarche est plutôt simple et rapide : rédiger une lettre manuscrite lisant ses motivations et l’envoyer à son église de baptême. En l’apprenant, sa mère était « hors d‘elle » jugeant la requête « irrespectueuse ». 

Ce dimanche 12 mars, jour du Seigneur, Louise pénètre dans la « maison de Dieu »  de son quartier et contemple les vitraux colorés. « Je me sens beaucoup mieux depuis, c’était nécessaire. Je n’ai plus l’impression d’être une menteuse ».

« Je ne voulais pas choisir entre mon père et ma mère »

Lui s’appelle Charlie. Mais dans sa famille paternelle, tout le monde l’appelle Youssef. Le jeune homme de 27 ans, éducateur sportif, est né de l’union d’une mère catholique et d’un père musulman. Circoncis et baptisé, Charlie, confortablement installé sur le canapé de son T2 rennais dans le quartier des Horizons, insiste « mes parents ont toujours accepté la religion et les croyances de l’autre ». 

Alors qu’il a tout juste quatre ans, son père Riad, est incarcéré. « À partir de là, ma mère a repris l’intégralité de mon éducation ». À six ans, elle lui propose de faire du catéchisme, il accepte, fait sa première communion, puis sa deuxième. En parallèle, il rend visite à son père une semaine sur deux qui s’interroge, « mais alors es-tu catholique ou musulman ? ». 

Charlie a une mère catholique et un père musulman. Après des années à s’être cherché, il se dit aujourd’hui athée (Photo : Claire Besnard)

À l’adolescence, les questions se multiplient. Une tasse chaude de thé vert entre les mains, Charlie raconte. Il entre en sport-études, côtoie des maghrébins musulmans et « s’identifie en partie à eux ». Gêné, il tait son identité catholique et revendique ses racines marocaines. Un jour, le proviseur appelle sa mère pour l’informer qu’à la cantine son fils ne mange pas de porc. 

Charlie n’a jamais vraiment cru en Dieu. « J’étais au milieu, je n’avais pas envie de choisir entre mon père et ma mère ». Lucile Bourdin, psychologue clinicienne spécialiste des thérapies familiales explique : « tout être humain passe par deux phases importantes. La phase de dépendance dure jusqu’à environ 15 ans. Ce qui signifie prendre pour acquis le modèle de ses parents. Quand les parents ne sont pas d’accord cela peut devenir schizophrénique pour l’enfant. Pour lui les deux sont vrais mais incompatibles ». 

Pour Charlie, une question se pose alors « est-ce que je peux être catholique et musulman ? ». Aujourd’hui, il en est certain, il n’est pas croyant, mais se sent appartenir pleinement aux deux cultures.

Pour en savoir plus, écoutez les récits complets de Louise et Charlie dans l’épisode 2 de « Dieu nous sépare ».

Making of

Le principal défi pour réaliser la série « Dieu nous sépare » a été de trouver des couples prêts à nous confier des éléments de leur intimité dont parfois même leur partenaire n’a pas connaissance.

Nous regrettons d’avoir manqué de temps afin de trouver des membres de la communauté juive ainsi que des personnes d’orientations sexuelles différentes pour arriver à une meilleure représentativité de notre sujet.
La difficulté a aussi été de faire un choix dans le fleuve d’informations collectées. Sur cinq heures de rush audio, seules onze minutes ont été retenues.

Graphiste : Céline Fortes