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Habitat intergénérationnel : l’entraide sans âge 
Lyon
Depuis 2020, la résidence George Rinck dans le centre-ville de Lyon héberge un tiers d’étudiants à côté de ses habitants du troisième âge. L’arrivée deux ans plus tard d’un café-restaurant associatif, Chez Daddy, facilite les échanges entre ces deux populations dont les chemins se croisent rarement dans la vie quotidienne.

On croirait presque une réunion de famille, avec quelques têtes blanches et une tripotée de petits-enfants. Seule différence : personne ne partage de lien de parenté. « C’est votre première fois à la tablée partagée ? », demande Pauline Christiaens, responsable des bénévoles. Avec un grand sourire, elle fait les présentations. Tous les mercredis, dans le café-restaurant « Chez Daddy », près de la gare de Perrache à Lyon, le couvert est dressé pour ceux qui le souhaitent : bénévoles, résidents, habitants du quartier ou curieux.

Pauline, Marlène, Jeannine, Renée et Anthéa se sont donné rendez-vous pour un repas partagé dans le café « Chez Daddy ». (Photo : Margaux Racanière)

À l’image de ce repas, la résidence George Rinck rassemble deux générations. Autour d’un jardin arboré de deux hectares se dressent deux bâtiments modernes, reliés par des passerelles. D’un côté, l’immeuble destiné aux seniors, avec ses 80 logements, entrecoupés d’une dizaine d’appartements étudiants. De l’autre, la résidence du Crous, avec ses 40 studios, inaugurée en 2020.

Installé au rez-de-chaussée, ouvert sur le jardin, le café soufflera en avril 2023 sa première bougie. Avec ses plantes suspendues, son mur jaune solaire et ses airs bohèmes, difficile d’imaginer qu’il s’agissait auparavant de la salle de restauration d’une maison de retraite. Privés de leur cantine, les seniors peuvent désormais manger « Chez Daddy » pour un tarif préférentiel : 8,90€ pour le menu entrée+plat, ou plat+dessert, au lieu de 14,90€. 

Soutenue par la ville de Lyon et son Centre communal d’Action sociale (CCAS), l’installation du bistrot visait à offrir un nouveau souffle au projet intergénérationnel. « La résidence, c’est très bien, mais finalement ça reste deux communautés, deux groupes distincts, explique le gérant, Benjamin Giacobbi, tandis que dans le café, il y a vraiment cette ouverture : tu peux croiser plein de gens différents qui viennent de partout, c’est important. » 

Le Café « Chez Daddy » apporte une ambiance décontractée et animée qui tranche avec la résidence senior « qui fait un peu hôpital » aux yeux des étudiants (photo : Margaux Racanière)

Sur une table individuelle, près de la fenêtre, Renée Bravais déguste une gaufre, avec un verre de cidre. La résidente de 92 ans, au visage rehaussé de larges lunettes ovales, a pris l’habitude de venir manger seule. « On me dit tout le temps que je suis quelqu’un de solitaire. » commente-t-elle. Si les activités collectives, comme le « tricot papote » du vendredi, ne l’intéressent pas, le café, lui, a trouvé sa place dans son quotidien. Elle vient plusieurs fois par semaine et participe parfois à la tablée partagée. « Je trouve quand même que les gens ne parlent pas assez fort, j’ai du mal à entendre ce qui se dit », maugrée-t-elle. 

Donnant-donnant

Célia et Lounys, deux habitants de la résidence intergénérationnelle Georges Rinck profitent du buffet en libre-service au café Daddy. (photo : Margaux Racanière)

Quelques tables plus loin, Lounys Boumediane et Célia Legouge se retrouvent pour un café, comme souvent en fin de journée. Cela fait plusieurs années que ces deux amis de 21 et 22 ans vivent entourés de seniors à Georges Rinck. Leurs studios de 17m2 leur reviennent à 384,50€ TCC, internet compris, soit une vingtaine d’euros de moins qu’un logement du Crous équivalent dans le deuxième arrondissement. Pour bénéficier de ces appartements peu onéreux, ils se sont engagés à consacrer quatre heures par mois à du bénévolat intergénérationnel, comme du service à la personne ou de l’animation d’activités. Lounys a beaucoup aidé les seniors avec l’informatique ou leur téléphone. « J‘accompagnais pour faire les courses, j’appelais les médecins pour les rendez-vous médicaux, explique Célia.  Après, c’est aussi beaucoup de discussions, de dialogue, d’échanges. » 

Pour eux, les personnes âgées cherchent avant tout du lien social :  « Beaucoup de dames engagent la discussion, et celles avec qui on s’entend le mieux nous disent à chaque fois : « Moi je préfère les jeunes, les vieux je ne peux pas me les saquer » s’amuse Lounys. 

Contrairement au salon, une pièce commune aux deux résidences, surtout investi par les seniors, le café est resté un territoire neutre, dans lequel les relations peuvent fleurir : « Avant, on croisait les personnes âgées dans les couloirs quand on rentrait ou quand on sortait, on leur parlait vite fait. Maintenant, comme elles sont souvent au café et nous aussi, ça ouvre une opportunité. Un « bonjour », et parfois on se pose pour discuter », raconte Célia. 

Des liens se créent, rendant parfois d’autant plus douloureuse la perte de ces voisins devenus amis. « Il y avait une dame qui venait tous les midis, et qui du jour au lendemain n’était plus là. On demandait régulièrement des nouvelles à la direction avant d’apprendre la mauvaise nouvelle, raconte Chloé Martinache, 20 ans, résidente à Georges Rinck et serveuse au café Daddy. On n’est pas préparé à ça. On ne s’attend pas à s’attacher à quelqu’un et à ce que cette personne meure.»

Ces moments informels et les relations qui en découlent sont le gage de la réussite des projets d’habitats intergénérationnels.

Pour Chloé, en service civique, des liens importants se sont créés avec certains résidents : « On rigole, on se taquine, c’est comme des amis. » (image : Margaux Racanière)

Ouvrir le champ des possibles

À quelques kilomètres au nord de la résidence Georges Rinck, l’entreprise Récipro-cité a développé une expertise sur la conception de ces lieux. Nathaël Torres a consacré sa thèse de doctorat à ce sujet. Il est aujourd’hui directeur de l’agence Est de Récipro-cité. Pour lui, « faire cohabiter des publics, pour les faire cohabiter » n’a pas de sens. « Ce n’est pas parce qu’on a des jeunes et des vieux que soudainement, ils vont devenir de bons voisins et se rendre des services, explique-t-il. Pourquoi rend-on service à des gens ? Parce qu’on les connaît et qu’ils deviennent des amis. Quand on fait un repas partagé, qu’on se voit régulièrement, de nombreux services se mettent en place. Comme dans un immeuble, avec ses voisins.»

Ces moments de convivialité passent par des lieux spécifiques : une salle équipée d’une cuisine pour permettre le partage des repas, une autre salle consacrée aux activités – bricolage, sport ou travaux manuels -, et, si possible, un jardin. « Le fait qu’il y ait des espaces qui ne soient pas chez soi pour se retrouver, c’est le plus important, explique Nathaël Torres.

D’autant que leur existence est un des critères de financement de l’habitat inclusif. Défini par le code de l’action sociale et de la famille, il correspond à un lieu de vie destiné aux personnes âgées ou handicapées qui font le choix d’un « mode d’habitat regroupé », « assorti d’un projet de vie sociale et partagée ». Depuis la loi Elan de 2018, ils sont financés conjointement par la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), une branche de la sécurité sociale, et les départements.

Annoncé en 2022, un plan national prévoit le déploiement de plus de 1 800 projets dans les sept prochaines années, qui permettront de loger près de 18 000 personnes. Le tout avec un budget annuel de 70 millions d’euros. Une manne, alors que jusqu’à présent tout projet de résidence intergénérationnelle était à la charge du bailleur ou de la commune. 

Mais Nathaël Torres craint que ces efforts se concentrent essentiellement sur l’intégration des personnes âgées et handicapées, au détriment d’autres publics. « C’est super d’avoir beaucoup de financements pour les personnes âgées […] Il n’y a pas besoin d’être vieux pour avoir un souci, pour bénéficier de la solidarité de voisins ou d’être mis en confiance ou valorisé, précise-t-il, parce qu’une maman solo, un homme seul ou au chômage, connaissent aussi mille fragilités. »