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À Paris, élèves et professeurs au défi de l’Intelligence Artificielle
Ile-de-France
Entre la méconnaissance et la crainte d’une menace sur l’apprentissage, l’arrivée de ChatGPT, a rapidement été perçue comme un frein à l’éducation. Aussi bien par les parents que par les professeurs. Mais sur le campus de la cité scolaire Paul Valéry, l’IA est, au contraire, envisagée comme un véritable atout.

En plein cours de français, Inès, une adolescente de 16 ans, sort son téléphone et l’allume pour questionner ChatGPT : « Écris-moi un portrait satirique à la manière de La Bruyère.» Par cette simple question, le logiciel est capable de formuler une réponse claire et précise. Grâce à l’intelligence artificielle (IA), ChatGPT va écrire une trentaine de lignes et permettre à Inès d’obtenir une dissertation en quelques secondes. 

Si cela semble être de la triche, c’est pourtant sa professeure Claire Doz, de la cité scolaire Paul Valéry dans le XIIe arrondissement de Paris, qui l’oblige à passer par cette IA. Ici, les élèves apprennent en effet à travailler avec cet outil dans ce cours exceptionnel : « L’objectif n’est pas de tricher, mais d’utiliser vos savoirs pour voir ce que la machine vous propose. Mais pour ça il faut avoir des connaissances. »

Pas question pour les élèves de « laisser faire la machine », il s’agit de s’interroger sur le résultat obtenu pour le perfectionner. Car si l’IA est capable d’interpréter une question comme celle-ci et d’en restituer une réponse cohérente, elle nécessite néanmoins des indications aussi précises que possible : « Si vous ne savez pas ce que vous voulez, n’attendez pas que le logiciel le fasse. Cela ne sera pas terrible. Vous allez assurer un 10 ou un 12, mais pas un bon travail », affirme la professeure. Pour obtenir la copie parfaite, l’élève doit donc faire appel à ses cours pour guider le plus précisément possible l’interface.

« Alors, que manque-t-il au texte que vient de nous donner ChatGPT ? », questionne Claire Doz. « Il manque une anecdote et la satire », trouve un élève.

« Maintenant, vous me reformulez la question d’origine et vous marquez : « Écris-moi une autre version du portrait, plus ironique et incluant une anecdote” », relance la professeure. Après avoir dialogué avec ChatGPT pendant une vingtaine de minutes, les élèves auront pu mettre à profit les connaissances acquises en cours. Une nouvelle manière de « bien se préparer à un devoir », à condition de « travailler intelligemment avec la machine », nous assure Claire Doz. 

Claire Doz, professeure de français, montre comment bien utiliser ChatGPT pour travailler ses dissertations en amont d’un devoir (Photo : Lucas Marcellin/CFJ)

« C’est comme Wikipédia, au début tout le monde en avait peur »

C’est aussi une manière de découvrir les nouvelles technologies qui entourent les élèves. Fondée en 1960, la cité scolaire Paul-Valéry accueille 1400 élèves de la 6e à la Terminale. Elle ne teste que depuis récemment ces nouveaux outils dans l’enseignement. 

La proviseure Françoise Sturbaut veut inscrire dans l’avenir « et surtout dans le présent » son établissement. Pour elle, les nouvelles technologies ont effrayé de tout temps, mais ne doivent pas entraver l’évolution de l’éducation : « C’est comme Wikipédia. Au début, tout le monde en avait peur », rappelle-t-elle. 

C’est donc au travers de nombreuses activités comme des cours sur ChatGPT que l’établissement souhaite « proposer aux élèves de voir comment cela fonctionne » pour aller plus loin et même pour essayer de  « casser la machine ». 

Dans cette classe de 6eme 2, les élèves apprennent justement le fonctionnement des « chatbots » artificiels. Pour cela, les 26 collégiens doivent créer un programme capable de converser avec eux et de répondre à leurs questions. Pour les professeurs et intervenants, cette approche permet de « démystifier » l’image de cette nouvelle technologie : « J’ai l’impression que les enfants ont les mêmes craintes que les adultes, à la fois, ils sont attirés et à la fois, ils sont repoussés », précise Clotilde Chevet, chercheuse invitée pour ce projet inédit. 

Les élèves de 6eme 2 ont découvert les voix de synthèses et ont participé à créer celle de leur futur «chatbot» artificiel (Photo : Lucas Marcellin/CFJ)

Dans la classe de Seconde d’Ahmed El Nahtawy, c’est encore une autre technologie qui aide les lycéens et leur professeur de français. Avec près de 6 500 exercices de grammaire, de conjugaison et d’orthographe, les élèves sont guidés par une IA qui s’adapte à leur niveau. Grâce aux différents tests présentés au début de chaque module, l’IA peut cibler les compétences des élèves et leur proposer un parcours d’exercices plus ou moins durs. Cela permet aux lycéens d’avancer à leur rythme et de revenir sur les notions qui ne seraient pas acquises. 

Mais l’intelligence artificielle propose aussi de créer des groupes d’élèves selon leurs aptitudes. Pour l’enseignant, c’est un indicateur très précieux : « Je peux créer des groupes homogènes, mais aussi d’autres plus hétérogènes. Libre à moi d’utiliser les données pour faire progresser les élèves ensemble.» Si l’IA permet ici aux lycéens de s’entraider de manière plus dynamique, elle offre aussi un gain de temps précieux aux professeurs : « Ce que fait la machine en trente secondes, moi, je dois le faire en deux mois », affirme Ahmed El Nahtawy

Le logiciel Adaptiv’langue permet au professeur de français Ahmed El Nahtawy de constituer des groupes de niveaux grâce à l’Intelligence Artificielle (Photo : Lucas Marcellin/CFJ)

Un déploiement à l’échelle nationale

La cité scolaire Paul-Valéry expérimente ces nouvelles technologies, car elle compte devenir le premier « campus de l’IA » d’ici 2025. L’objectif est clair : réunir en son sein des étudiants, des chercheurs et des start’up pour développer ce secteur d’activité.  Mais elle n’est pas le seul établissement qui va bénéficier de l’intelligence artificielle. Pour la rentrée scolaire de 2023, tous les lycées de France obtiendront l’accès aux logiciels Adaptiv’ maths et Adaptiv’ langue. La même plateforme que Paul-Valéry teste depuis 2020. 

C’est la start’up Evidence B qui a développé ces logiciels « d’adaptiv’ learning ». Pour son CEO Thierry De Vulpillières, l’entreprise privée fondée en 2017 veut « lutter contre le décrochage scolaire et remédier aux carences en maths et en français ». Au total, 20 000 exercices seront générés par une IA composée par une vingtaine de chercheurs en sciences cognitives. 

Chez Evidence B, Assan s’occupe de modifier certaines lignes de code de l’IA pour qu’elle interagisse mieux avec les élèves (Photo : Lucas Marcellin/CFJ)

Des milliers d’exercices qui seront déployés en France dans toutes les classes de seconde après que la société a remporté un appel d’offre de l’Éducation Nationale. Ouvert en 2021, ce marché public voulait « interpeller la filière du numérique éducatif pour pouvoir concevoir et mettre à disposition un service basé sur de l’IA » explique le Ministère de l’Education Nationale. Une manière aussi « d’accompagner la filière du numérique » en « suivant au mieux le développement des programmes de ces start’up ». 

Une relation essentielle donc, pour contrôler et s’assurer que les exercices soient « conformes au programme scolaire ». Le Ministère assure ne pas vouloir obliger les professeurs à utiliser l’IA dans les écoles, mais plutôt leur « proposer un outil dont ils pourraient s’emparer ». 

Pour autant, ce nouvel acteur n’est pas vu d’un très bon œil par les parents d’élèves. Pour la Fédération nationale des conseils de parents d’élèves (FCPE), il faut pouvoir s’assurer que les données des enfants soient « sécurisées, maîtrisées et anonymisées ». Selon Grégoire Ensel, président de la FCPE, « intégrer l’IA a du sens », mais cela soulève également de nombreuses inquiétudes et interrogations : « On tire la sonnette d’alarme sur le fait que l’on ne veut pas que les données de nos enfants soient laissées à des organismes privés y compris à des fins de recherche. Et puis où seront-elles hébergées? », s’interroge-t-il. 

Le Ministère affirme de son côté qu’il n’y a pas d’inquiétudes à avoir pour la conservation et l’hébergement des données, et assure que celles-ci seront anonymisées en cas de recherche.  

Pour l’heure, parents d’élèves et enseignants s’accordent sur la nécessité d’anticiper les questions qui émergent dans un « secteur en tension » indique Julien Roudil, directeur opérationnel du campus des métiers et des qualifications de l’IA  : « Les campus sont créés par l’État pour professionnaliser l’école et pour que les jeunes puissent s’orienter vers ces métiers. », affirme-t-il. 

Chargée de superviser l’évolution des deux porteurs de projets de l’IA que sont la cité scolaire Paul Valéry et l’université de la Sorbonne, Julien Roudil cherche à en constater les « bonnes pratiques » pour pouvoir « les essayer à l’avenir dans d’autres lycées ». Ainsi, injecter l’Intelligence Artificielle dans l’éducation semble désormais la marche à suivre, quand bien même ses limites restent floues et incertaines.

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