Friction
Projet d’accueil de réfugiés à Callac, anatomie d’un échec
L’abandon du projet d’installation de réfugiés à Callac a laissé des traces dans la petite ville des Côtes-d’Armor. Quelques mois après, les pro et anti n’ont pas encore tourné la page.

Les étals du marché ont pris place ce mercredi matin dans le petit bourg de Callac. Lieu d’une bataille acharnée entre l’extrême droite et l’extrême gauche en septembre, il semble d’apparence plus paisible aujourd’hui. Annoncé en avril 2022 lors d’une réunion publique, le projet « Horizon » proposait d’installer dans l’ancien collège quelques familles de réfugiés à Callac sur une période de dix ans. Financé par un fonds de dotation, il prévoyait de sélectionner des familles déjà en France depuis deux ou trois ans, et cela, en fonction de leur métier et des besoins du bourg. Sur le papier, il promettait à cette ville du centre Bretagne un nouvel élan et davantage de solidarité. Il suffit aujourd’hui de tendre l’oreille et d’observer pour se rendre compte que l’omerta règne à ce sujet. 

Un large sourire au visage, le maire nous accueille ce mercredi matin du mois de mars, à l’entrée de l’Hôtel de Ville. Sa mine sereine tranche avec celle affichée ces derniers mois dans la presse d’abord locale puis nationale et même internationale. À peine sorti de son bureau ce jour-là, il est interpellé par un couple de quinquagénaires : « Jean-Yves, on a entendu dire qu’une famille de migrants allait arriver. C’est vrai ? C’est pas toi, ça, si ? ». Ce type de réaction, l’élu de gauche doit y faire face quotidiennement depuis l’annonce du projet « Horizon ». « Non, non, ce n’est pas nous, c’est le projet « Viltaïs » qui est mené par l’État. On n’a rien à voir avec ça, c’est le préfet qui les a placés ici », se justifie cet ancien agriculteur, devenu maire sans étiquette en 2020.

Après le projet « Horizon », privé, ce projet «Viltaïs» n’a fait qu’envenimer la situation. Pourtant, celui-ci est public :  il répond avant tout à une condamnation publique de l’État français, par le Haut-commissariat pour les Réfugiés de l’ONU, pour non-respect des quotas d’accueil de réfugiés. À la suite de cette décision, le gouvernement a lancé un appel à projet pour organiser l’installation de familles, remporté dans les Côtes-d’Armor par l’association Viltaïs.

Deux épisodes qui ont fait émerger de nombreuses questions, laissant présager une cohabitation complexe entre locaux et réfugiés.

Jean-Yves Rolland, maire de Callac, dans son bureau de l’hôtel de Ville (Photo : Fanny Abiven)

Loin de s’imaginer tout ça au printemps dernier, le maire avait vu dans l’opportunité d’accueillir de nouvelles personnes sur son territoire « un potentiel humaniste et économique pour sa ville ».  « C’est nous qui avons pris contact avec le fonds de dotation « Merci ». Au début, on ne savait pas du tout ce que c’était, on avait une ancienne friche et on s’est dit qu’on pourrait la rénover pour accueillir quelques familles et y faire des activités. Et en creusant, on s’est rendu compte que c’était un projet à très grande valeur humaine, et associé à un retour au travail de ces familles-là. C’est ça qui était important : l’insertion par l’emploi », explique l’élu. Le lendemain de la réunion publique où il a présenté cette idée, le 11 avril 2022, il devient la cible de l’extrême droite. « Des représentants de « Breizh Info » [un site web d’extrême droite, ndlr] étaient là, ils ont divulgué n’importe quoi. Et après, les partis d’extrême droite s’en sont saisis et là, ça a fait hyper mal », déplore Jean-Yves Rolland. Des rumeurs courent alors dans la presse racontant l’arrivée de 100 migrants à Callac.  La population commence à prendre peur, le mal est fait. 

L’ancien collège Saint-Laurent, racheté par la mairie, qui devait accueillir les réfugiés (Photo : Fanny Abiven)

Du « renouveau démographique » au « grand remplacement »

Au sein même de la municipalité, beaucoup s’accordent à dire que la communication, dès le départ, a été très mauvaise. Lise Bouillot, ancienne maire de Callac et cheffe de l’opposition de centre-droit, reconnaît une énorme perte pour la ville. C’est en tendant l’oreille qu’elle a su pour « Horizon » : « On n’a pas été conviés aux premières réunions, on a été tenus à l’écart… Au début, comme tout le monde, on était sceptique, puis à partir du moment où on a compris le projet, on l’a soutenu mais c’était trop tard. » Certains habitants en faveur de l’accueil des exilés partagent ce sentiment. Ils auraient aimé être davantage concertés et semblent déçus aujourd’hui.

Eric est l’un d’entre eux.  Musicien et bénévole dans de nombreuses associations callacoises, le quinquagénaire originaire du grand Est a trouvé à Callac une vraie terre d’accueil, il y a quelques années.  « Ce qui a manqué, c’est une prise en compte ou une mobilisation en amont. Au bar associatif, on aurait pu faire un point d’accueil les mercredis pour expliquer le projet. » Selon lui, comme souvent dans les collectivités, « les élus sont persuadés qu’ils sont en capacité de gérer tous les projets ». Lise Bouillot ajoute : « C’est le maire qui a dit que c’était le renouveau démographique de Callac… Le lendemain, on nous parlait de grand remplacement, c’était extrêmement maladroit. »

Un changement de mentalités

Ancien terre communiste, à l’engagement hérité de la guerre et de la Résistance, Callac a connu ces dernières années un renforcement du Rassemblement National (RN) dans les urnes, selon l’ancienne maire de Callac.  « Il y a  six ans, quand les premiers migrants sont arrivés, ils ont été reçus avec beaucoup de chaleur humaine et les gens se décarcassaient pour les amener à Rennes et à Guingamp » pour les conduire à des cours de français, raconte celle qui regrette de « ne pas reconnaître les gens ». L’échec du projet pourrait s’expliquer par ce changement de mentalité, mais aussi par un attachement à la culture bretonne. « Cette idée de grand remplacement s’appuie aussi sur une espèce d’identité que certains ont envie de retrouver. Ici, l’identité locale est vraiment affirmée, particulièrement dans les Côtes-d’Armor, avec l’idée qu’on ne doit pas la partager », explique Éric. 

Au centre, Eric, musicien et bénévole au sein d’associations Callacoises (Photo : Fanny Abiven)

Cet été, la campagne d’intimidation menée selon le maire par l’extrême droite, puis les violents affrontements avec l’extrême gauche, ont retranché les camps, déplore Sylvie Lagrue, habitante engagée en faveur du projet « Horizon ». Nous la rencontrons chez elle, dans la maison qu’elle partage avec son mari Denis, ancien vétérinaire de Callac.  Gérante du cinéma local depuis plus de 30 ans, elle œuvre auprès des familles de réfugiés. Bénévole aux Restos du cœur, lui, aide les familles défavorisées et est, comme son épouse, membre d’un collectif qui propose aux réfugiés des cours de français.  « On a créé des psychoses qui n’ont pas de sens » explique cette dernière. « À Callac, on a beaucoup de personnes âgées et tout ça leur a fait peur ». Une peur de l’autre que Sylvie refuse de comprendre : « Qu’est-ce que ça va leur enlever l’arrivée des réfugiés ? Ils pensent tous aujourd’hui qu’on donne de l’argent à des étrangers au lieu d’en donner aux Callacois. Mais ils n’ont pas plus d’aides que nous ces réfugiés.»

Sylvie Lagrue, présidente du cinéma local depuis 30 ans et bénévole auprès des réfugiés de Callac (Photo : Fanny Abiven)

Sylvie Lagrue regardant les documents envoyés par le fond de dotation « Merci » (Photo : Fanny Abiven)

« Une cohabitation avec ces gens-là empiète automatiquement sur nos traditions »

Danielle Le Men, ancienne professeure des écoles à Callac, est à l’origine du collectif des opposants. Au printemps dernier, à son retour de vacances, elle entend parler du projet « Horizon » et, immédiatement, il semble inconcevable aux yeux de cette Callacoise depuis trois générations et très attachée à ses terres. « J’ai pensé à mon père, à mon grand-père et à mon arrière- grand-mère, à toute cette identité bretonne et j’ai dit, non, là, c’est pas possible, il faut faire quelque chose », lance d’un ton nerveux la fille de l’ancien médecin du village. Ce combat, elle le mène pour la défense de ses supposées traditions. « Je tiens au pâté Hénaff, le porc fait partie de notre culture bretonne, je défends nos coutumes alimentaires et notre liberté. Si vous avez 500 personnes qui ne mangent pas de porc, on va m’imposer de ne pas avoir de porc dans ma boucherie et on va me mettre une boucherie Halal », se justifie cette dernière.

Pourtant, ailleurs en France, des réfugiés ont été accueillis sans que ça bouleverse les habitudes des locaux. À Pessat-Villeneuve dans le Puy-de-Dôme l’afflux de réfugiés depuis 2015 a même permis de conserver l’école et d’obtenir une ligne de transport vers la grande ville la plus proche. Une illusion selon elle. « J’ai enseigné dans une classe à 80% allophone à Nîmes et cela ne fonctionne pas. À Callac, le niveau est déjà très bas, car il y a beaucoup de familles en très grande difficulté. Et on va en plus leur rajouter une difficulté supplémentaire avec des enfants qui ne parlent pas la langue ? », oppose l’institutrice à la retraite. Femme d’un ancien militaire, Danielle Le Men a voyagé dans le monde au gré des affectations. Il y a six ans, elle avait aidé les premiers réfugiés de Callac. L’expérience s’étant très mal passée à ses yeux, elle a depuis fermé sa porte. 

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